Valerie Masumbuko : « Face à la violence faite aux femmes ne soyez pas de connivence, dénoncez, sensibilisez et…. »

Valerie  Masumbuko : « Face à la violence faite aux femmes ne soyez pas de connivence, dénoncez, sensibilisez et…. »

Activiste engagée et convaincue, Valerie  Masumbuko est d’origine Burundaise et actuellement consultante internationale chercheure en Droits Humains et Problématiques féminines au compte de différentes structures dans différents pays. Présentement en Guyane britannique, cette brave dame nous avons accordés une interview. Avec elle, nous avons abordés des questionnaires liées à son parcours professionnel, les femmes qui sont forcées de renoncer à leur ambition d’exceller dans leur carrière au profit de fonder leurs familles, le Forum International des Femmes Cheffes et les violences faites aux femmes, sur le livre « Hadja Kadiatou Diallo Telli : Un destin de cheffe ».

Magazine Femmes Africaines : Bonjour Mademoiselle Valerie  Masumbuko, comment allez vous aujourd’hui?

Je vais très bien Dieu merci, je suis présentement en Guyane britannique où je mène une recherche sur les violences basées sur les genres dans trois régions principales de ce pays.

Avant de commencer, pouvez-vous nous parler de notre parcours professionnel ?

Je suis d’origine Burundaise et porte la nationalité Belge. J’ai grandi au Burundi et j’y ai fait mes études jusqu’à la licence, mais j’ai  dû  partir  vivre et travailler à l’étranger car le pays était ravagé par la guerre civile. J’ai une formation en Psychologie, Sciences de l’Education, en Droit international et humain. Mon doctorat est en études féministes et de genre. J’ai travaillé et vécu sur trois continents : Afrique, Europe, Amérique du Nord et maintenant l’Amérique du Sud, avec les agences des Nations Unies, des Organisations non Gouvernementales, ainsi qu’a la Cour Pénale Internationale à la Haye. Actuellement, je suis consultante internationale chercheure en Droits Humains et Problématiques féminines au compte de différentes structures dans différents pays.

Beaucoup de femmes reconnaissent être forcées de renoncer à leur ambition d’exceller dans leur carrière au profit de fonder leurs familles.  Qu’en pensez-vous ? Quels conseils donnerez-vous aux femmes qui se retrouvent dans cette impasse ?

Le principe de base est que les décisions qui se prennent dans un couple visent l’épanouissement des deux partenaires et n’empiètent pas sur les droits d’aucun d’eux. Il n’y a pas de formule, cela dépend des situations et de la façon dont les époux négocient. Je veux ici parler surtout de la situation en Afrique où le rôle de rester à la maison incombe aux femmes, car dans certains pays les hommes peuvent rester à la maison pour élever les enfants pendant que leurs femmestravaillent. Si la décision vient de l’homme juste pour contrôler sa femme, on peut parler de violation ; la femme est donc en droit de protester et de recourir à la justice pour faire valoir ses droits. Mais si c’est pour l’intérêt de la famille, et que  le couple décide de commun accord que la femme restera à la maison pour  par exemple s’occuper des enfants, il n’y a pas d’inconvénients, aussi longtemps que l’autonomie financière de la femme est assurée. Dans l’histoire de madame Diallo Telli que j’ai écrite et qui vient d’être publiée chez Harmattan, alors que nous sommes dans les années 50, on voit Diallo Telli négocier avec sa femme pour qu’elle reste à la maison, non juste pour élever les enfants mais aussi pour travailler avec lui. Il assure cependant son autonomie financière en lui achetant une maison dont les revenus de location permettent  à sa femme d’être indépendante économiquement. « Je n’ai pas de formule magique mais je demanderai à chaquefemme d’analyser sa situation pour voir si elle est contrainte auquel cas elle doit trouver une solution  à l’amiable avec son mari avant d’envisager de recourir à la justice ». La situation idéale serait que les gouvernements africains valorisent le travail ménager comme le font certains pays occidentaux qui paient les femmesau foyer.

Récemment,  nous vous avons vu très engagée dans l’organisation de la journée internationale de la femme avec le forum international des femmes cheffes et vous avez aussi publié un livre sur  Hadja Kadiatou Diallo Telli.

Pouvez- vous nous parler de ce forum et l’objectif de cette autobiographie ?

J’ai créé le Forum International des Femmes Cheffes comme un espace où les femmes peuvent développer leur leadership par la formation et le coaching mais aussi développer de vastes écosystèmes de développement. Le mot « cheffe » est une sorte de prophétie auto-réalisatrice car chaque femme qui est dans le forum doit savoir qu’elle a déjà des potentialités de leadership, nos formations et coaching ne font que les actualiser. Nous abordons également la question du leadership qui combine les traits du leadership masculin qui a été longtemps le seul modèle avec les traits du leadership féminin. La recherche a montré que chez l’homme, l’approche du leadership est territoriale. Le pouvoir se traduit par la capacité du leader à garder la main sur ses équipes et sur ses responsabilités. Dans un management au féminin, au contraire, on est face à un pouvoir de faire. L’exercice du leadership relève alors davantage de la capacité à faire aboutir un projet et à gérer plusieurs dossiers de front. La femme  ou du moins le manager au féminin se démarque par son pragmatisme, sa rigueur et son organisation. Concrètement, elle délègue plus facilement car elle s’accroche moins à son expertise que son collègue masculin. Quand nous travaillons avec les femmes africaines et celles de la diaspora, nous favorisons aussi les valeurs et philosophies africaines pour diluer certains excès du féminisme occidental, en concoctant une forme de leadership à saveur africaine. Cela veut dire que la famille, les valeurs d’ « ubuntu », « harambe » sont intègres dans le type de leadership que nous proposons. Ubuntu veut dire « Mon humanité est inextricablement liée à ce qu’est la vôtre». Selon l’archevêque Desmond Tutu, auteur de Réconciliation: The Ubuntu Theology : « Quelqu’un d’ubuntu est ouvert et disponible pour les autres » car il a conscience « d’appartenir à quelque chose de plus grand ».

Je ne voudrais pas beaucoup élaborer sur le livre « Hadja Kadiatou Diallo Telli : Un destin de cheffe » au risque de briser le suspens pour les lecteurs et lectrices, mais je peux simplement dire qu’écrire ce livre fait d’abord justice à madame Telli car elle a joué un grand rôle dans la vie de son mari et de sa famille. Elle a usé d’une grande résilience pour survivre la douleur de l’assassinat de son mari et élever ses enfants. Les guinéens et guinéennes avaient besoin de sa version de l’histoire. Le livre est une histoire de résilience, d’un grand leadership au féminin. C’est un livre sur le pardon et la réconciliation pour la construction de la nation guinéenne. J’invite les Guinéens et Guinéennes, surtout les jeunes, de le lire mais surtout d’embrasser la philosophie de madame Telli qui consiste à mettre  les intérêts de la nation au dessus des préoccupations individuelles pour réconcilier définitivement le peuple guinéen.

 Depuis 2017, nous assistons à une augmentation du nombre de femmes tuées suite aux violences conjugales en Guinée.

Quel est votre opinion par rapport à ces impunités ?

Je voudrais d’abord souligner que le phénomène de violence n’est pas l’apanage de la Guinée ou de l’Afrique, il est universel, cela n’en diminue pas néanmoins son caractère criminel. La cause profonde de la violence conjugale est le rapport de pouvoir entre les hommes et les femmes où les hommes ont tous les droits et lesfemmes sont parfois considérées comme des citoyennes de seconde zone. Cette vision des choses est transmise par la socialisation qui donne implicitement carte blanche aux hommes dés le jeune âge à adopter certains comportements violents, tandis que les femmes sont éduquées  à la tolérance à cette violence. De plus les dots exorbitants que les hommes payent pour épouser leurs femmes leur donnent le sentiment que celles-ci les appartiennent et qu’ils peuvent les gérer comme ils veulent. Cependant tous les hommes ne sont pas violents car d’autres facteurs peuvent contrecarrer cette prédisposition.

Il y’a plusieurs raisons à cette impunité. Pendant longtemps la violence conjugale a été considérée comme une affaire privée, ce qui faisait que dans plusieurs pays elle n’était pas pénalisée. La majorité des pays pénalisent aujourd’hui la violence conjugale mais d’autres facteurs entrent en jeu pour que ces lois cessent d’être de « jure » sur papier pour être « de facto ». Premièrement, la majorité des femmes ignorent leurs droits dans la législation nationale et même quand elles savent, elles ont peur d’entamer de telles démarches par peur d’avoir toute la famille sur leur dos. Deuxièmement, engager une affaire au tribunal demande des moyens que ces femmes n’ont pas. Troisièmement, la police dans certains cas ne sont pas encore convaincus du caractère criminel de la violence conjugale ce qui fait que les femmes sont humiliées dans les stations des polices, ce qui décourage les autres victimes de porter plainte.

 Nous savons tous qu’il est impossible d’éradiquer tout type de violence mais il y’a des solutions qui peuvent être mises en place afin de réduire ou mieux gérer les cas de violence conjugale. Selon vous, quelles sont les solutions que vous pouvez suggérer au gouvernement  guinéen par rapport  à ce phénomène ?

D’abord il  n’y a pas de solution toute faite, ensuite, même si le gouvernement est le premier garant de la jouissance des droits par les citoyens, il ne devrait pas être le seul responsable pour traiter cette question, cela demande la participation de tous, l’Etat, la société civile, les organisations communautaires etc. Une première chose à faire serait de faire une étude CACP (Connaissances, Attitudes, Comportement et Pratiques sur la question) pour ensuite mettre sur pied un programme plus ciblé et efficace à  deux niveaux : prévention et réponse. La composante  prévention s’attelle  à mettre en place des mécanismes qui découragent ces actes, des lois qui criminalisent la violence conjugale, la sensibilisation sur les conséquences de ces actes sur les victimes, leurs familles et la communauté, améliorer les conditions économiques des femmes pour leur permettre de négocier dignement leur place dans la famille et dans la communauté. Le volet réponses traite les questions des victimes en leur offrant un système d’accueil et de sécurité. Mettre sur pied des unités de polices spécialisées dans les interventions de ce genre de crimes, des unités médicales pour recevoir et traiter les victimes, enfin offrir aux victimes un appui psycho-social pour leur permettre d’émerger du traumatisme causé par les violences conjugales.

Un conseil aux femmes guinéennes,  africaines et du monde ?

Les femmes africaines en général ont le premier contact avec les enfants à travers l’éducation. Elles peuvent briser cette chaine de transmission des comportements de violence. Si vous ne faites pas de différence dans la distribution de taches, si vous n’encouragez pas vos garçons à être agressifs, vous aurez déjà contribué à construire une société où la violence contre les femmes sera considérée comme  un comportement répréhensible au lieu d’être toléré ou parfois même glorifié.

 Face à la violence faite aux femmes ne soyez pas de connivence, dénoncez, sensibilisez et, s’il le faut  insurgez-vous contre des comportements qui vous déshumanisent ou déshumanisent d’autres femmes. Faites valoir vos droits car « Vous naissez toutes avec un destin de cheffe ».

Nous te  remercions  de nous avoir accordé cet entretien  et  nous vous souhaitons une très belle réussite dans votre carrière et vos activités humanitaires

Merci vous.

Interview réalisée par

Aicha KALLO      

Djenabou Balde