Binta Ann : « la pratique de l’excision, devenue aujourd’hui en Guinée une norme sociale »

Binta Ann : « la pratique de l’excision, devenue aujourd’hui en Guinée une norme sociale »

Dans la rubrique Espace Santé de ce mois sur le site du gouvernement guinéen, Madame Binta Ann était leur invité. Diplômée en éducation enfantine et préscolaire, elle est également écrivaine, enseignante au lycée français, professeur d’anglais, et présidente de la Fondation Binta ANN pour les enfants et les femmes (Fonbale). Dans cet entretien elle aborde sans tabou le phénomène de l’excision et des mutilations génitales. Lisez!

Madame, et merci de nous accorder cet entretien : La Fondation Binta ANN pour les Femmes et les Enfants (FONBALE), a entre autres objectifs de lutter contre l’excision et les mutilations génitales. Et vous n’êtes pas sans savoir que, la Guinée est le deuxième pays au monde après la Somalie où l’excision est plus pratiquée. Selon vous pourquoi la pratique de l’excision continue d’exister?

D’abord, je tiens à vous remercier de m’avoir donné l’opportunité de m’exprimer au nom de la FONBALE, et à mon nom personnel, sur la question de l’excision en Guinée.

Tout d’abord permettez-moi de vous présenter la FONBALE (Fondation Binta Ann pour les Femmes et les Enfants) qui est née aux Etats Unis en 2008 et agréée en Guinée en 2011. La FONBALE assiste les enfants et les femmes en encourageant l’éducation de la jeune fille, l’alphabétisation des femmes, en luttant contre l’excision et les mutilations génitales, les mariages précoces et forcés. En vue de lutter contre la mendicité et l’exploitation des enfants. La FONBALE s’occupe actuellement de plus d’une centaine d’enfants à son siège de Nongo en leur dispensant des cours de soir gratuits, l’initiation à l’informatique et une assistance pédagogiques quotidienne gratuite.

Pour revenir à votre question, il faut reconnaître que la pratique de l’excision, devenue aujourd’hui en Guinée une norme sociale où les uns craignent les jugements des autres, est une pratique séculaire qui s’est ancrée dans les traditions et les mœurs de nos communautés, et qui perdure sous l’influence de certains facteurs socioculturels au centre desquels se trouve la religion. Alors que ce n’est pas une pratique religieuse.

Quelles sont ces facteurs socioculturels au sein des familles et des communautés ?

Les facteurs socioculturels pour lesquelles les mutilations génitales féminines sont pratiquées et qui sont défendus par les partisans de la pratique de l’excision s’expliquent par le fait que :

L’excision est une tradition chez les populations qui la pratiquent. Elle a été héritée des ancêtres donc il faut la maintenir ; La plupart des familles ou femmes croient que pour être de bonnes musulmanes, elles doivent subir l’épreuve afin d’être purifiées ;

La peur des sanctions, les rejets, la stigmatisation des filles, emmènent certains parents à pratiquer ou stimuler l’excision ;
En supprimant la sensibilité sexuelle par l’ablation du clitoris, la famille pense protéger la jeune fille de l’instabilité et des excès sexuels, la débauche et lui permet ainsi de rester vierge jusqu’au mariage;
La jeune fille non excisée est considérée comme impure. Elle ne peut pas se marier et n’est pas autorisée à préparer à manger pour sa famille tant qu’elle n’accepte pas d’être excisée. Dans certaines communautés en Guinée l’excision fait partie des rites de passage dans la société des femmes ;
La communauté pense que la femme excisée a un accouchement facile, que l’absence de clitoris chez une femme évite la mort de son bébé à l’accouchement, car sa tête pouvant toucher le clitoris etc….et tant d’autres idées reçues.

présidente de la Fondation Binta ANN pour les enfants et les femmes (Fonbale).

Et comment menez-vous votre lutte autour de ces facteurs ?

La stratégie de lutte contre l’excision développée par la FONBALE, s’inscrit dans le cadre du plan stratégique national (PSN) de l’abandon des mutilations génitales féminines. Ce plan vise une réduction des MGF/E de 40% pour les jeunes filles âgées de moins de 16 ans d’ici la fin de cette année 2016. Dans cette lutte commune, la FONBALE privilégie les stratégies de communication de masse ou restreinte, l’habilitation communautaire en collaboration avec les structures communautaires de protection de l’enfant qui ont été initiées par le Ministère de l’Action Sociale. La FONBALE travaille également avec les leaders religieux favorables à l’abandon de l’excision. Elle met un grand accent sur l’implication des secteurs clés de la protection tels que l’éducation, pour développer et insérer l’information adéquate dans le milieu scolaire et estudiantin ; la santé, pour dissuader les pratiquants modernes ; la sécurité pour une meilleure et efficace intervention des lois et réglementation en vigueur contre les auteurs de la pratique entre autres.

Le taux de prévalence de l’excision en Guinée constitue sans doute un frein à l’épanouissement de la femme qui continue d’être victime de violences. Que fait la FONBALE pour faire changer les choses ?

Dans la lutte collective contre la pratique de l’excision, la zone d’intervention de la FONBALE se situe dans la commune de Ratoma, dans les 34 quartiers de la localité sur lesquels, nous avons déployé dix travailleurs sociaux qui travaillent avec la communauté. Chaque TS est chargé dans sa zone spécifique, de susciter l’engagement communautaire en vue de l’abandon de la pratique. Cette intervention se fait par le développement des animations communautaires telles que les causeries éducatives, les dialogues communautaires, les campagnes et autres activités d’animation ayant pour objet d’approfondir les connaissances des communautés sur les conséquences de la pratique de l’excision et les encourager à abandonner la pratique à travers les déclarations publiques engageant la communauté entière à l’abandon définitif de la pratique de l’excision.

Lors du lancement officiel de la campagne nationale pour l’abandon des mutilations génitales féminines en aout dernier, le Premier Ministre Mamady Youla a réitéré la ferme détermination du Gouvernement à œuvrer pour la fin des mutilations génitales féminines.

 Est-ce que cet engagement du Chef du Gouvernement peut être perçu comme source d’espoirs pour les futures générations?

Oui bien sûr, l’engagement du chef du gouvernement, qui est l’expression manifeste de la volonté des autorités du pays et en particulier du Chef de l’Etat, est pour nous une grande source d’espoirs pour mettre fin aux MGF. Retenez que dans la lutte contre cette pratique, une des stratégies consiste à voter ou amender les lois existantes, et surtout à les appliquer contre les auteurs qui continuent de faire croire aux communautés le bien-fondé de cette pratique. Toutefois, pour moi, cet engagement doit se traduire en acte concret. Je voudrais dire par là, les plaidoyers, une communication adaptée et l’application stricte de la loi. Cette implication du chef du gouvernement et de ses départements concernés est à saluer.

Votre dernier mot Madame Binta ANN pour clore cet entretien.

Je tiens à vous remercier une fois de plus de m’avoir donné l’opportunité de m’exprimer sur la question de l’excision, une pratique traditionnelle néfaste, qui, malgré des nombreux efforts consentis par les acteurs de tous bords, continue de priver les jeunes filles de leurs droits à la vie et aux loisirs, surtout lorsqu’elle est pratiquée pendant les vacances. Un moment pendant lequel, un enfant doit se reposer et se détendre après 9 mois de durs travaux scolaires. J’encourage mes collègues acteurs de la société civile, ainsi que les autorités du pays à ne jamais baisser les bras dans la lutte contre la pratique de l’excision. Et ce, pour le bien-être de nos jeunes filles et pour le bien de nos communautés. Je remercie et félicite les partenaires techniques et financiers tels que le Ministère de l’action sociale, l’Unicef et l’Ambassade des Etats pour leurs appuis et accompagnement dans cette lutte commune. Je remercie les bénévoles de la FONBALE qui depuis trois ans assistent les enfants dans un programme de soutien scolaire gratuit. Ensemble nous y arriverons. Je vous remercie.

Je vous remercie

Cellule du gouvernement

Djenabou Balde