GUIDE DE LA TRANSITION : CAS DE LA GUINÉE Par Seudouba Camara

GUIDE DE LA TRANSITION : CAS DE LA GUINÉE  Par Seudouba Camara

GUIDE DE LA TRANSITION : CAS DE LA GUINÉE
Par Seudouba Camara

Dans ce mémoire nous décrirons le contexte des événements du 5 septembre dernier, ensuite nous porterons une brève réflexion sur la conduite du changement parce qu’il ne suffit pas d’avoir de bonnes idées pour qu’elles prennent formes, enfin nous égrènerons une série de propositions concrètes de réformes des administrations et des institutions pour poser les jalons du développement.

L’urgence et la nécessité du changement (transition)

Les dernières années de l’ancien régime ont été marquées par des arrestations arbitraires et privations de liberté , l’instrumentalisation extrême de la justice et des médias, le musèlement des partis politiques , le népotisme, la création d’un habitus dans lequel les proches du pouvoir se confortent, la militarisation de l’espace publique, la confiscation de la parole publique et le manque d’indépendance de la presse, l’ethnicisation démesurée du commandement (fonction publique , armée , gouvernement …) , la justice à deux vitesses, l’asphyxie de la population par la flambée des prix, un pouvoir plus en plus autocratique, le clientélisme, le manque d’espoir de la jeunesse et une émigration massive. Tout cela sur fond d’une menace d’insurrection populaire à terme par « effet bouilloire ». Le changement devenait plus que jamais nécessaire.

La vision du chef de l’Etat

En tant que dirigeant, demander un changement n’est pas aisé. Le changement ne se fait pas tout seul, Il se fait avec les individus. Un changement commence par les individus avant l’organisation. Il peut être obtenu par l’autorité (par la contrainte) mais son bénéfice sera toujours moindre par rapport à un changement voulu et embrassé par les individus.
La vision doit être transparente, communiquée et susciter l’adhésion. Le message doit renseigner sur :

Où nous en sommes ;
Où nous souhaitons aller ;
Comment y arriver ;
Et quand saurons que c’est OK (par exemple, dès qu’on aura obtenu un saut de qualité ou amélioration pérenne).

Pour se faire, la communication doit être dans les deux sens (à l’image d’un talkie-walkie, le message envoyé doit être reçu, compris et confirmé) avec pour finalité solliciter une aide des individus (coalition directrice ou ambassadeurs de la cause) à supporter la vision, la propager de proche en proche. En effet, demander un changement laisser à penser que les efforts consentis jusqu’alors sont insuffisants. Il faut donc communiquer efficacement en rencontrant par exemple les sceptiques ou la coalition bloquante (certains peuvent penser que tout allait bien avant l’amorce du changement et donc qu’il n’y a pas besoin de changement, que la solution retenue conduirait à plus de dysfonctionnements qu’elle n’est sensée corriger, qu’ils ont une meilleure solution, etcetera).
L’idée est donc que le plus grand nombre adhère à l’urgence du changement. Plus la vision sera consensuelle, plus vite elle infusera les esprits et dynamisera le changement. Plus il y a de gains ou réalisations rapides plus forte sera l’adhésion à la vision. Par ailleurs, pour transformer la vision en réalité, il faut s’en donner les moyens en trouvant les ressources humaines, techniques et financières pour éviter que le changement ne se transforme en un exercice de frustration à la fois pour le leader tout comme pour les individus.

Les propositions

Certaines propositions nécessitent du fait de leur coût un accompagnement par la communauté internationale du développement (PNUD, FAO, etcetera).

· Sur les infrastructures

Améliorer l’accès à la santé à coût modéré par la création d’un dispensaire ou centre de proximité dans chaque commune afin de désengorger les hôpitaux publics. Ces centres seront spécialisés par ailleurs dans le diagnostic du diabète et de l’hypertension ;

La mise en place d’un service de transport en commun dans la capitale par le biais d’un partenariat public-privé (financement par un opérateur économique ou un groupement par ex. avec prise en charge de la maintenance, réalisation des stations, pôle de correspondance, etcetera). Cela permettra de décongestionner la circulation à terme en mettant en place des restrictions de circulation (ou circulation alternée). On peut imaginer la corniche réservée uniquement aux transports en commun et aux riverains.

· Sur les administrations

Un cadre de lutte contre la fraude, la corruption et le trafic d’influence (législation, code de conduite et régime disciplinaire, protection du lanceur d’alerte, ségrégation des tâches conformément aux fonctions i.e qu’on est pas directeur et comptable à la fois, procédures de contrôles comptables de l’administration et des tiers, système de contrôle interne, etcetera);

Rationaliser les dépenses de l’Etat pour dégager des disponibilités dans chaque ministère. Par exemple, une économie de 10 000 euros à l’unité sur un véhicule neuf de fonction (V6 Land Cruiser 9 l /100km vers un SUV Ford KUGA 5 l /100 km) permet de conserver des millions d’euros car nous économisons à la fois sur le prix des véhicules mais aussi sur le coût des dotations en carburant. Cette somme peut financer d’autres projets toutes choses égales par ailleurs sans avoir recours à l’endettement. Autrement dit, engager « un cost killer » pour réaliser des économies sans supprimer les besoins ;

Mobilité professionnelle des cadres tous les 3 ans pour lutter contre les groupes d’intérêts, les coalitions bloquantes et freiner la fraude et la corruption ;

Bilans Sociaux annuels obligatoires (absentéisme, nombre d’heures de formation continue par agent, droits sociaux …) ;

Faire un audit RH dans les administrations afin de savoir quelles sont les possibilités en termes de recrutement ;

Une remontée mensuelle des statistiques de chaque Ministère vers l’Institut National de la Statistique pour agrégation des comptes nationaux ;

Fixation d’objectifs SMART (spécifiques, mesurables, atteignables, réalistes, temporels) pour chaque agent dans les administrations pour faciliter les évaluations objectives et éventuellement les promotions.

· Sur L’urbanisme et L’habitat

Révision de la conformité des PLU (plans locaux d’urbanisme) ou les POS (plans d’occupations des sols) et application au cadastre de chaque commune la création effective de noms de rue dans tous les quartiers (rue, place, allée, route). L’objectif, in fine, étant que chaque individu soit identifiable par l’administration et rattaché à une adresse physique. De mon point de vue, ceci est une priorité absolue car c’est le point de départ des politiques publiques de développement.

· Sur l’assainissement de la ville

Restructuration et modernisation de la collecte d’ordures dans chaque commune (Construction pour la capitale d’au moins un centre d’incinération des déchets de préférence ou d’un centre d’enfouissement de déchets ultimes, recrutement de charretiers pour les quartiers enclavés, redevance forfaitaire pour les ordures ménagères, contrats de maintenance des véhicules de voiries sur appels d’offres, subvention de l’état par foyer, planification mensuelle d’assainissement de lieux publics, etcetera)
Mesure créatrice de milliers d’emplois à l’échelle nationale.

Nota Bene : Selon l’ADEME (Agence De l’Environnent de la Maîtrise de l’Energie), en France , une usine d’incinération de déchets à capacité de 100 tonnes / jour est estimé à 6 millions de dollars.

· Sur les mesures sociales

Création dans chaque commune d’une maison des personnes handicapées (facilite la reconnaissance du degré du handicap par l’administration). Cela permet de dépeupler les rues des personnes à mobilité réduite et de développer de vrais politiques d’insertions (quotas dans les administrations publiques et les grandes entreprises privées (seuil à définir en fonction de la taille de l’entreprise) ;

Création d’une allocation (une aide ne serait pas une solution holistique) pour les personnes handicapées avec une temporalité définie pour lutter contre l’exode rural des personnes handicapées.

· Sur la digitalisation

Accélérer la digitalisation des administrations, renforcer la sécurité des systèmes d’informations (démarche de certification ISO 27001, formation continue en cyber-sécurité des agents et des cadres détenant des appareils mobiles).

· L’institut national de la statistique

Continuer les efforts (récente modernisation du site internet) pour intégrer les indicateurs concernant nos comptes nationaux. Les indicateurs qui nous servent au niveau local pour piloter nos politiques (besoins de financement des administrations, les CSP, le taux de chômage, etcetera) et non plus uniquement les indicateurs actuels qui sont plus utiles pour les comparaisons internationales.

· Sur le tourisme

Désenclaver toutes les routes des sites touristiques, faire la promotion du tourisme, créer des centres de formations dans l’hôtellerie et la restauration pour les populations des sites cibles, formation des guides touristiques, subventionner les investissements hôteliers dans les zones touristiques.
Secteur très porteur avec de fortes retombées économiques pour les populations locales.

· Sur la propriété intellectuelle

Création d’un Institut National de la Propriété Intellectuelle qui englobera le Service National de la Propriété Industrielle déjà existante. Conformément aux accords de Bangui de l’OAPI (Organisation Africaine de la Propriété Intellectuelle) autoriser les SRPD ou Services de Perceptions et de Répartitions de Droits d’auteurs. Capables de s’autogérer et de s’autofinancer, les SRPD ont un fort potentiel de création d’emplois.

· Sur l’agriculture

Le développement de l’agriculture pour assurer la sécurité alimentaire. Encouragement de l’entreprenariat dans le secteur agricole, désenclaver les zones agricoles et les routes pour faciliter l’acheminement des récoltes vers les villes, subventionner les industries de transformations de produits agricoles.
Ouvrir la possibilité aux investissements directs étrangers dans l’industrialisation du primaire sous condition de transfert de technologie (embauche et formation des travailleurs locaux, recrutement de locaux parmi les cadres dirigeants).
NB : Énorme potentialité en termes de création d’emplois et de revenus pour les individus et à terme pour l’Etat.

· Sur l’inflation

Signature d’un pacte de stabilité des prix pendant la transition après consultation des opérateurs économiques et des partenaires sociaux.

· Sur le système bancaire

Créer la confiance des individus dans le système bancaire en mettant en place un fond de Garantie des dépôts bancaires pour lutter contre la thésaurisation de l’argent et faciliter le financement de l’économie.

· Mettre de l’ordre dans les professions

L’Etat ne peut pas tout gérer, il faut déléguer en créant des ordres professionnels dans les professions libérales (médecins, avocats, notaires, etcetera). Capables de s’autogérer et de s’autofinancer, ces ordres seraient accompagnés financièrement dans leur phase de démarrage par l’Etat.

· Sur les tutelles

Une autorité indépendante de tutelle pour les médias, des contrôleurs terrains pour l’autorité de tutelle des mutuelles, banques et les assurances.

· Sur la cour des comptes

Restructuration pour intégrer des fonctionnaires détachés expert de tout domaine (armée, ingénieurs, informaticiens, etcetera). Un expert métier doit être indépendant vis à vis de son chef ou son département pour pouvoir contrôler objectivement ce dernier.

· Sur la constitution

Amender ou inscrire la création d’un Conseil d’État dans la constitution avec admission d’office des anciens présidents ;

Aucun coup de force contre la constitution ne doit être permis. Même si le coup est légitime du point de vue politique, il ne devra pas reposer sur l’illégalité (i.e. dissolution du conseil constitutionnel et de l’assemblée nationale).

L’auteur Seydouba Camus CAMARA est économiste statisticien de formation, certifié Green Belt lean six sigma par l’IASSC (International Association for Six Sigma Certification) en conduite de projets d’amélioration de biens et de services, il dispose également d’une expertise dans le domaine de la fraude avec un certificat Forensic accounting and fraud examination de West Virginia University.
Ancien chargé d’enseignement de méthode de la conjoncture et de statistique à la faculté de sciences économiques de l’université de Maine (France), Il exerce actuellement dans le domaine du contrôle et de la qualité à Paris.
E-mail 📧 : camarase@hotmail.fr

Djenabou Balde